Table ronde “La santé publique vétérinaire et le défi du numérique”
Le compte-rendu ci-dessous rend compte des échanges survenus lors de la table ronde qui s’est déroulée le jeudi 30 mars à l’issue de l’assemblée générale du RSPV.
————
La table ronde est animée par Anne-Marie VANELLE (IGSPV au CGAAER) qui remercie vivement les personnes qui ont accepté d’apporter leur contribution à la réflexion.
En préambule, AM.VANELLE indique que la vocation du RSPV est bien de faire dialoguer les différents acteurs de la Santé Publique Vétérinaire, voire d’élargir cette discussion à la Santé Publique Humaine, comme c’est le cas pour cette table ronde. Le numérique apporte de nombreux espoirs mais soulève autant de questions: Quid de l’évolution des pratiques? Quid de la place du vétérinaire dans les évolutions numériques de la profession vétérinaire et de la santé publique vétérinaire? Quid de la place du médecin en santé publique? Quid de l’émergence de nouveaux acteurs?
En vue d’introduire le débat, AM.VANELLE présente les différentes facettes ou briques par lesquelles aborder la question du numérique, qu’il paraît adapté d’aborder de façon intégrée car elles vont impacter simultanément le secteur vétérinaire:
Première brique: « Aider l’animal à s’exprimer », à savoir les animaux connectés. Sont cités en exemple les colliers intelligents, les litières connectées, les tapis de cage permettant le suivi de la courbe de poids, les robots de traite, les vaches connectées. Ces innovations ne sont pas à considérer comme des gadgets car elles procurent un nombre considérable de données qui peuvent être utilisées à des fins sanitaires.
Deuxième brique: « Mieux gérer les activités professionnelles ». Les logiciels équipant les cabinets vétérinaires pour gérer les consultations, les facturations etc … allègent d’ores et déjà la charge administrative, allant vers le cabinet vétérinaire « sans papiers ».
Troisième brique: « Mieux communiquer avec les clients ». Les américains sont très en avance en ce domaine. Ils utilisent énormément les sites internet mais également les applications mobiles pour créer une relation de fidélité permanente avec les clients. Par exemple, une application mobile, pour 14 euros par mois, autorise deux échanges par mois avec un vétérinaire; il est notamment possible d’envoyer des photos de son animal. Ces nouveaux outils ont vocation à dialoguer et suivre la clientèle, mais aussi à éduquer les propriétaires, pour essayer de battre le “Docteur google”.
Quatrième brique: « Améliorer la formation » avec, par exemple, l’usage de la simulation au cours de la formation vétérinaire. Nous accusons en France un certain retard par rapport à la médecine humaine où la simulation est très développée depuis une dizaine d’années. Pour illustrer le propos, sont citées les expériences physiologiques simulées par ordinateur, les simulateurs de chirurgie permettant de s’entraîner tout en ayant la sensation d’opérer sur des tissus vivants, les simulations d’anesthésie-réanimation sur des mannequins haute-fidélité placés sous monitoring piloté en temps réel par l’enseignant en fonction des actes réalisés par l’étudiant. Il est également possible de construire des répliques 3D de lésions de patients qui permettent de s’entraîner avant l’opération.
Cinquième brique: « Mieux exercer ». Même si cette facette se développe davantage dans le secteur agricole que dans le secteur vétérinaire, sont cités les appareils d’échographie portables rendant les examens complémentaires plus faciles ou le programme Vetelevage comprenant un module permettant le suivi des pathologies d’un troupeau.
Sixième brique: « Améliorer la Santé Publique Humaine, la Santé Publique Vétérinaire ou la confluence des deux, selon l’approche One health » Un grand nombre de données pour suivre l’état du cheptel sont dorénavant recueillies en permanence. La plateforme BDIVET relie le logiciel de l’administration (SIGAL) aux vétérinaires sanitaires et amorce le début d’un échange de données entre l’Etat et les vétérinaires sanitaires.
Concernant la question des données, plusieurs rapports consacrés à l’e-santé ou/et à l’e-agriculture interrogent la question de la possession de données et les enjeux de pouvoir qui en découleront. Le vétérinaire devra tenir sa place s’il ne veut pas être écarté et que tout se passe exclusivement entre la start-up informatique et l’éleveur.
Ensuite la parole est donnée aux intervenants (M. BAUSSIER, V. MOQUAY, J-Y. GAUCHOT, P. SAI, E. ROBERT, N.ROUX) en ouvrant la discussion sur le degré d’avancement et l’opportunité du développement numérique.
E.ROBERT, N.ROUX: Présentation du réseau OphDiaT
La rétinopathie diabétique met en jeu la capacité visuelle. Le dépistage de cette pathologie s’avère donc indispensable le plus en amont possible. Le réseau OphDiaT a su dissocier la prise du cliché de la lecture qui en est faite afin de prendre en charge le maximum de patients. Il existe une quarantaine de sites en France où des orthoptistes prennent les clichés. Ces derniers sont envoyés sur un serveur pour une lecture par l’un des six ophtalmologues du réseau. Ce réseau, par le numérique, résout un problème de santé publique, de maillage et de coût (la prévention étant moins coûteuse que l’acte chirurgical).
M.BAUSSIER: Le Conseil de l’Ordre des vétérinaires a déjà pris conscience de la révolution numérique en train de se produire. C’est pourquoi le Conseil de l’Ordre avait demandé il y a un an à l’Académie vétérinaire de France de mener une réflexion sur la télémédecine. Pour l’instant, le dogme en médecine vétérinaire reste inchangé: pas de prescription sans diagnostic clinique. Les médecins ont quant à eux déjà franchi le pas puisque le code de la santé publique a intégré la télémédecine. M. BAUSSIER pressent que la réflexion sur le dispositif de prescription-délivrance instauré en 2007 et menée par le CGAAER sera vite remise en question par les mutations rapides autour de la question du numérique.
Par ailleurs, face à ces bouleversements, le Conseil de l’Ordre a lancé une initiative collaborative intitulée Vetfutures pour réfléchir à ce que sera la profession vétérinaire en 2030.
M.BAUSSIER précise que la télémédecine constitue un sous-ensemble de la e-santé. En médecine humaine, la télémédecine est elle-même subdivisée en plusieurs catégories: téléconsultation, téléassistance (le vétérinaire se ferait aider par un confrère lors d’une consultation), télésurveillance (suivi sanitaire d’un patient), régulation médicale (lorsqu’on appelle le 15, un médecin régulateur est au bout du fil).
J-Y. GAUCHOT: Se pose la question du modèle économique. Une course à la numérisation existe en équine mais il n’est pas certain que les clients soient prêts à rémunérer le service fourni à sa juste valeur. Des transplantations rénales et des prothèses métalliques pour chats sont dorénavant possibles grâce au numérique, mais à quel prix? Les objets connectés se multiplient et le SNVEL envisage de labelliser ceux qui placent le vétérinaire au cœur du processus/débat et qui apportent une réelle plus-value.
Se pose également la question de la propriété des données. J-Y. GAUCHOT s’inquiète que le vétérinaire puisse se retrouver exclu de la relation start-up & client. Par exemple, les vétérinaires sont demandeurs des données technico économiques d’un élevage, non pas pour s’approprier ces données, mais parce que le vétérinaire est le mieux placé pour interpréter les aspects sanitaires de ces données et améliorer le fonctionnement de l’élevage. Or, les organisations professionnelles agricoles sont réticentes à communiquer ces données dont elles s’estiment propriétaires. L’Etat devrait faciliter l’accès à ces données.
V.MOQUAY: Chaque opérateur possède des outils qui correspondent à ses besoins. Comment les fait-on dialoguer? La mise en place de formats d’échanges est un aspect primordial. Si l’Etat souhaite exploiter ces données, il doit aider à leur interconnexion et leur structuration.
Cette question est cruciale puisque, malgré le foisonnement d’informations, certaines crises sanitaires n’ont pas pu être anticipées (influenza aviaire, brucellose en Savoie, salmonelles dans des fromages au lait cru). S’agissant de la propriété des données, la question est d’abord de savoir comment on l’utilise et quel est le résultat obtenu ; une donnée expertisée et valorisée appartient aussi à celui qui l’a traitée.
P.SAÏ: La façon dont l’enseignement vétérinaire s’approprie le numérique ne constitue pas seulement une question technique car elle débouche sur la façon de préparer les étudiants aux pratiques professionnelles de demain. Une profonde révolution est ainsi à envisager et à réfléchir en matière de pédagogie clinique.
Aujourd’hui, les étudiants ne savent pas ce qu’est un animal connecté, et cela génère de l’angoisse pour eux. Le numérique peut augmenter les compétences et permettre leur homogénéisation entre les différentes écoles vétérinaires. (virtualisation, enseignement à distance). Toute la profession monterait en gamme. Deux initiatives sont notamment développées à ONIRIS:
– la formation par simulation numérisée (mannequins haute-fidélité …) ;
– dans le cadre d’un programme IDEFI, l’utilisation de la révolution numérique pour faire collaborer vétérinaires, médecins et ingénieurs dans l’objectif “Une Santé”, au sein d’un master « MAN-IMAL » réunissant ces différentes filières.
Les intervenants sont ensuite invités à échanger sur les points de vigilance à garder à l’esprit concernant cette révolution numérique. Pour sa part, AM.VANELLE s’inquiète du manque de liens entre les grandes réflexions en cours sur la e-santé et sur la e-agriculture, le vétérinaire se trouvant soit pris en tenaille, soit oublié.
E.ROUX et N.ROBERT: Une cellule de coordination s’avère indispensable, même dans un réseau numérique. L’outil ne se suffit pas à lui-même et il faut prendre garde à ce que le technique ne prenne pas le pas sur l’humain. Seul l’humain est en mesure d’accoler un sens aux données. C’est pourquoi la coordinatrice technique/opérationnelle et la coordinatrice administrative sont en relation constante avec les utilisateurs et les intermédiaires afin d’obtenir un maximum de remontées d’informations.
J-Y. GAUCHOT: Seul l’humain sait prioriser et temporiser ; son intervention est incontournable. Le problème récurrent pour les vétérinaires libéraux reste la pertinence d’un modèle économique basé sur le numérique. L’enjeu pour le vétérinaire sera d’identifier les start-up qui lui permettront d’affirmer son indépendance et son expertise auprès du client. A noter que les objets connectés pourraient nous rapprocher de ce qui se pratique en médecine humaine.
J-Y. GAUCHOT appelle de ses vœux la création d’un portail vétérinaire donnant accès aux données sanitaires des élevages, condition indispensable à la poursuite d’une santé publique vétérinaire.
M. BAUSSIER: Actuellement, les analyses biologiques et l’imagerie sont considérées comme des examens complémentaires. Sur un plan réglementaire, seul l’examen clinique permet d’aboutir à une conclusion. Le changement de paradigme sera opéré si l’on admet que les examens complémentaires sont en mesure à eux seuls de permettre le diagnostic.
Il est important d’introduire des sciences humaines et sociales dans la formation pour que le vétérinaire ne se cantonne pas à un rôle de technicien de la santé. Une approche philosophique globale est souhaitable
Enfin, M.BAUSSIER rappelle que le secret professionnel est inscrit dans la loi: quel sens donner au secret professionnel à l’heure du google qui sait tout?
A quand un vétérinaire « augmenté »? (mention du livre de L.FERRY La révolution transhumaniste – Comment la technomédecine et l’ubérisation du monde vont bouleverser nos vies)
La table ronde se poursuit par des échanges avec la salle. Ils mettent l’accent sur:
– la pédagogie par simulation, véritable apport pour laquelle il est indispensable de toujours raisonner rapport coût/bénéfice (ne pas s’arrêter seulement au coût)
– sur le rôle moteur de l’Etat dans la construction d’outils informatiques permettant la surveillance sanitaire. Il doit s’en donner les moyens (personnel et finances). C’est à lui d’imposer. Remettre de l’intérêt général dans les réflexions.
– la nécessité de progresser dans ce domaine en se rapprochant de la recherche: penser à la mobiliser par exemple via les UMR des ENV (bourse de thèses sur ces sujets)
– la nécessité d’établir des partenariats pour dépasser les blocages liés à la rétention des données et à leur propriété. Ce qui n’exclut pas d’explorer les questions juridiques qui peuvent se poser.