Chef du département des politiques agricoles, rurales et maritimes au Ministère des Outre-Mer

Arnaud Martrenchar, vous êtes en poste au Ministère des outre-mer où vous occupez le poste de chef du département des politiques agricoles, rurales et maritimes : pourriez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?
J’étais intéressé par l’aide au développement et j’ai suivi dès ma sortie de l’école une formation en élevage tropical puis en microbiologie et épidémiologie à l’Institut Pasteur de Paris. J’ai ensuite occupé différents postes pendant 8 ans: au CIRAD puis au Ministère de la coopération en Guyane, au Cameroun et en Côte d’Ivoire. Rentré en France, j’ai été mis à disposition pendant 5 ans de l’agence française de sécurité sanitaire des aliments en travaillant sur le bien-être animal dans les élevages intensifs avicoles, cunicoles, porcins et de veaux de boucherie. J’ai ensuite été chef du service hygiène alimentaire à la direction des services vétérinaires de Lyon pendant 2 ans avant d’occuper pendant 7 ans et demi deux postes de directeur des services vétérinaires en Guyane puis à La Réunion. Depuis maintenant trois ans, je suis en poste au Ministère des outre-mer à Paris.
Qu’est-ce que la délégation générale à l’outre-mer?
Le Ministère des outre-mer est le lointain descendant du bureau des colonies créé en 1710 et qui était l’aboutissement d’une forme d’organisation centrale initiée par Richelieu. L’administration centrale chargée de la gestion des terres d’outre-mer a oscillé entre des ministères délégués et des secrétariats d’Etat soit à part entière, soit rattachés au Premier Ministre ou au Ministère de l’intérieur. Actuellement, c’est un Ministère de plein exercice intitulé Ministère des outre-mer depuis mai 2012 pour souligner la diversité des formes institutionnelles de rattachement des terres d’outre-mer à la République française. La délégation générale à l’outre-mer, qui pourrait évoluer en une Direction Générale des outre-mer, regroupe l’ensemble des services de ce Ministère qui étaient auparavant divisés en deux directions l’une
chargée des affaires régaliennes et administratives, l’autre du développement économique et social.
Quel est précisément votre rôle?
La délégation générale à l’outre-mer est divisé en trois services: le service de l’évaluation et de la dépense de l’Etat, le service des affaires juridiques et institutionnelles et le service des politiques publiques. Ce dernier doit piloter et animer toutes les politiques de développement économique et social. Il est divisé en 5 départements: santé-social, vie économique-emploi, écologie-logement, affaires européennes et agricole-maritime. Je suis donc chargé de piloter et d’animer l’ensemble des politiques de développement agricole rural et maritime dans les 12 terres d’outre-mer. C’est donc un champ de compétence très vaste, et c’est ce qui fait l’intérêt du poste. Comme pour les autres missions de la délégation générale à l’outre-mer, il s’agit d’un travail interministériel. En effet, chaque mission relève déjà d’un ministère technique en charge des politiques sectorielles. Nous faisons en quelque sorte du «lobbying administratif» pour défendre l’intérêt des outre-mer. Les dossiers outre-mer sont souvent complexes et possèdent de fortes spécificités qui nécessitent une analyse particulière qui justifie l’existence d’un Ministère dédié. Ces spécificités sont prises en compte au niveau national bien sûr mais aussi au niveau européen où les outre-mer sont divisés en deux grandes catégories: les régions ultrapériphériques (RUP) qui font partie intégrante de l’Union Européenne, quoique pouvant bénéficier d’adaptations prévues par l’article 349 du traité de fonctionnement de l’Union Européenne (il existe aujourd’hui 9 RUP parmi 3 Etats Membres: France, Espagne et Portugal) et les Pays et Territoires d’Outre-Mer (PTOM) qui sans faire partie de l’Union Européenne ont une relation privilégiée avec elle; par exemple, leurs citoyens possèdent un passeport européen et peuvent voter aux élections du Parlement Européen (il existe une vingtaine de PTOM appartenant à 4 Etats Membres: France,
Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark).
Quels sont vos interlocuteurs?
Nos interlocuteurs sont très variés et nombreux; il s’agit de la hiérarchie de la délégation générale à l’outre-mer, le cabinet du Ministre des outre-mer et, par son intermédiaire, celui de l’agriculture et
de l’écologie, les différents services des Ministères en charge de l’agriculture (DGPAAT, DGAL, DGER), des politiques maritimes (CGEDD, DPMA, DAM, DEB), mais aussi la Marine nationale ou les services de Matignon (Secrétariat général des affaires européennes, Secrétariat général de la mer). Nous sommes également en contact très régulier avec les services de la commission européenne (DG agri, DG Mare, DG Taxud, DG comp) et la représentation permanente de la France à Bruxelles. L’office de développement de l’économie agricole d’outre-mer (ODEADOM) est un interlocuteur privilégié. Localement, nos correspondants sont les services déconcentrés de l’Etat: préfectures, directions de l’agriculture, directions de la mer. Et enfin, bien sûr, les socio-professionnels.
Donnez nous des exemples concrets de votre travail quotidien:
Nous avons beaucoup de notes d’opportunité à rédiger pour préparer les rencontres soit de notre hiérarchie, soit pour le Ministre qui effectue de nombreux déplacements outre-mer et qui est donc très sollicité. A chaque publication de textes (Lois, décrets, arrêtés), il convient de s’interroger pour savoir s’il est nécessaire de prévoir des spécificités pour l’outre-mer. Il y a aussi de nombreux arbitrages à préparer sur des décisions de soutien à tel ou tel projet de développement agricole ou maritime. Dans la période actuelle, nous suivons avec attention la réforme de la politique agricole commune, de la politique commune des pêches et de la politique maritime intégrée pour veiller à ce que les spécificités des outre-mer soient prises en compte. L’avis du Ministère est sollicité pour toute nomination de chefs de services de l’Etat outre-mer, puisque le Ministre est obligatoirement contresignataire.
La préparation de la départementalisation de Mayotte, à compter du 31 mars 2011, et de son entrée dans l’Union Européenne, dite «rupéisation»,au 1er janvier 2014 a aussi nécessité un gros travail de préparation. Entre autres dossiers sensibles, on peut citer l’épandage aérien de fongicides pour lutter contre la cercosporiose noire du bananier aux Antilles que les populations acceptent de moins en moins ou la pollution à la chlordécone.
Pourriez-vous nous dresser un bilan chiffré des aides publiques apportées au développement de l’agriculture et de la pêche outre-mer?
Les aides publiques au développement de l’agriculture sont importantes surtout pour les 4 DOM historiques (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion). Les aides communautaires annuelles représentent environ 370 millions d’euros (1er et 2ème pilier de la PAC) auxquelles il faut rajouter près de 180 millions d’euros d’aides nationales. Les filières dites traditionnelles, banane et canne-sucre rhum, perçoivent la plus grande part de ces aides mais elles sont génératrices de plus de 25 000 emplois directs. La défiscalisation des rhums constitue aussi une aide très conséquente. Les aides au PTOM sont moins élevées d’autant que la compétence du développement agricole a été transférée aux gouvernements qui ne bénéficient pas du FEAGA et du FEADER. Les aides au développement de la pêche sont beaucoup moins importantes. A la base, la DG agri est dans une perspective de développement agricole à court terme, alors que la DG Mare est dans une logique de protection de la ressource et donc de limitation de la capacité de pêche. Ainsi, les fonds communautaires sur la période de programmation précédente s’élevaient à 10 M€ par an et nous avons demandé une augmentation substantielle pour la période à venir.